Sylvain Trudel
Sylvain Trudel naissait en 1963 du mauvais pied à l'hôpital de La Miséricorde de Montréal (Québec), l'« hôpital des filles mères ». On dut l’'arracher des entrailles de sa mère avec des forceps, ce qui lui causa une hémorragie cérébrale. On craignit qu'il devînt aveugle, mais il s’en tira avec des troubles de la vision (dont une fâcheuse tendance à permuter les couleurs) et une prédisposition au somnambulisme et au faux croup. Partageant son enfance entre les quartiers Rosemont et Pont-Viau, entre les faubourgs de Québec et les bords de la rivière Richelieu, Sylvain Trudel découvrit au fil des années la finalité confuse de l'univers. Marqué par sa grand-mère, femme pieuse et enjouée qui lui offrit ses premiers livres, Mon petit missel et Petite histoire sainte, mais aussi les vingt-quatre tomes de l'encyclopédie Tout connaître, le garçon se sentit vite écartelé entre l'invisible et le visible, entre les forces antagonistes de l'univers : la mystique et le rationalisme matérialiste. Ce qui lui ouvrit les horizons de la littérature et de la science. S'hypnotisant sur la mort, il se prenait pour un saint et rêvait de devenir un savant. Il écrivit son premier poème à sept ans : La mour et la mitié. Plus tard, englouti par la toute-puissance adolescence qui corrompt les choses et bouleverse l’ordre du monde, son amour universel mua en amour particulier. Devenu adulte, Sylvain Trudel exerça divers petits métiers (quincaillier, clown, déménageur, cueilleur de concombres, analyste commercial, Bonhomme Carnaval), voyage un peu, de la Turquie à l’Arctique (où il vécut un an chez les Inuits, qui lui apprirent à danser et à tricoter des tuques), tâta des sciences et des arts, noua et dénoua des amours et des amitiés, connut quelques tragédies intimes, puis il se fit un jour (une nuit ?) romancier pour unifier sa vie dissolue. Aujourd'hui, Sylvain Trudel vit à Québec où il trouve son oxygène dans les livres des autres. (Hier il lisait Mordecai Richler; aujourd’hui il lit Erich Maria Remarque; et demain ce sera Slawomir Mrozek.) Pour le reconnaître dans la rue, c'est facile : à vingt ans, il était le sosie de Roland Gift, le chanteur des Fine Young Cannibals, mais à quarante-quatre ans il commence déjà à ressembler au Cri d’Edvard Munch. Son seul regret : n'avoir pas été nommé Commandeur Exquis de l'Ordre de la Grande Gidouille par le Curateur Inamovible soi-même. Signe distinctif : cicatrice sur le front (carcinome).